Les banques se désengagent du risque, laissant le crédit privé en première ligne.

Une récente vague de tension sur le crédit aux entreprises américaines a propulsé le secteur bancaire et celui de la dette privée sous les projecteurs. En effet, les défaillances du fabricant de composants automobiles First Brands ainsi que du spécialiste du crédit «subprime» Tricolor ont entraîné des pertes de plusieurs centaines de millions de dollars pour ces deux secteurs, et en particulier pour des géants tels que UBS, JP Morgan ou Jefferies. Pour l’instant, la situation semble contenue, et aucune propagation systémique ne se profile. Il reste toutefois à distinguer le bruit de la réalité de ces épisodes, notamment au sein de l’industrie de la dette privée. Particulièrement opaque, cette dernière a repris la main sur de nombreux risques que les banques ne souhaitaient plus prendre depuis plusieurs années.

Les grandes banques américaines restent résilientes

En dépit des défauts mentionnés ainsi que des incertitudes géopolitiques que nous connaissons actuellement, dont les hausses de droits de douane, les grandes banques américaines continuent à publier des résultats records pour 2025, notamment grâce à la bonne dynamique des activités de banque d’investissement, couplée à un coût du risque maîtrisé. De plus, les bilans des grandes institutions bancaires restent solides et leurs portefeuilles de prêts affichent des taux de défaut stables depuis plusieurs années.

En réalité, cette bonne performance en matière de qualité de crédit résulte en majeure partie de plus de dix ans de réglementation stricte du secteur bancaire. Ceci a poussé les banques à devenir de plus en plus sélectives dans la prise de risques, et même à se défaire de certains d’entre eux jugés trop importants, ou trop coûteux en capital. Un des éléments clés dans ce processus de transfert de risque a été la popularité accrue des outils dits SRT («Significant Risk Transfer»), qui a permis aux banques de déplacer des risques – depuis leur bilan vers les marchés financiers.

A l’inverse, les banques régionales américaines demeurent clairement plus faibles, notamment en raison de leur plus grande exposition à l’immobilier commercial, qui reste un sujet sensible aux Etats-Unis: certaines d’entre elles, en particulier Zions Bank et Western Alliance, ont récemment annoncé des pertes à la suite de la défaillance de plusieurs financements liés à un groupe immobilier californien.

Le rôle de la dette privée

Dans ce contexte, l’industrie de la dette privée a absorbé une grande partie du risque que les banques ne souhaitaient plus ou ne pouvaient plus assumer depuis des années. Moins transparente par nature, elle est aujourd’hui au centre des attentions car perçue comme plus risquée et moins régulée. Précisons cependant que les cas de First Brands et Tricolor sont essentiellement liés au marché des prêts syndiqués logés dans des obligations adossées à des emprunts (CLO – Collateralised Loan Obligations), et non au cœur des financements accordés par les Business Development Companies (BDC), celles-ci étant les principaux acteurs au sein de la dette privée. Il ne s’agit donc pas d’un signal de dégradation généralisée de ce secteur.

Le marché de la dette privée a connu une croissance très rapide, environ 14% par an sur dix ans, pour atteindre aujourd’hui plus d’USD 3'000 milliards (à comparer aux USD 2'300 milliards du segment «high yield» global). Comme dans tout cycle de crédit, une croissance de cette ampleur s’accompagne d’un assouplissement des standards et de certains excès, dont plusieurs commencent à être révélés.

Pour obtenir une vision plus factuelle de l’état du marché, les BDC publiques constituent une source de transparence utile. Différents éléments ressortent de l’analyse des publications trimestrielles.

Tout d’abord, il existe une forte dispersion entre plateformes, et la discipline d’origination reste très variable. Dans ce contexte, les indicateurs de stress – non-accruals» (prêts non productifs), levier, PIK («payment-in-kind») – sont globalement contenus, bien que certains gérants aient entamé des restructurations ciblées. Le risque observé est ainsi, à ce stade, idiosyncratique et lié à des dossiers spécifiques, plutôt qu’un phénomène général de détérioration. La sélectivité des gérants est aujourd’hui donc un facteur déterminant.

Par ailleurs, le cycle de crédit est avancé, ce qui justifie de ralentir le rythme d’allocation et de faire preuve de prudence. La probabilité que le marché soit à un moment «subprime» du crédit privé (à l’instar de 2008) semble faible, mais une chose est sûre: le marché est mature et la discipline devient clé, que ce soit du côté des gérants ou des investisseurs. Toutefois, tant que le flux de nouvelles négatives ne ralentit pas, il paraît évident que la classe d’actifs continuera de subir un certain stress.

Une divergence notable apparaît: tandis que les grandes banques restent solides et disposent d’outils leur permettant de se désengager partiellement de leurs risques sur les marchés financiers, l’industrie de la dette privée, en revanche, a crû de façon importante ces dernières années en absorbant une partie significative de ces mêmes risques.

Nicolas Roth & Alvaro Cucchiara Velazquez

Il est donc probable que des excès existent dans l’industrie de la dette privée et que ceux-ci refassent surface dans les prochains trimestres au travers de pertes financières parmi certains acteurs.

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