La moindre décision réglementaire ou évolution de l’environnement international peut remettre en cause la disponibilité des financements, l’accès aux devises ou la solvabilité perçue de certaines contreparties.
Les entreprises naviguent désormais à vue, en quête de nouveaux repères. Crises géopolitiques à répétition, durcissement des réglementations, instabilités monétaires, sanctions internationales, barrières douanières… autant de bouleversements profonds dans la gestion des mouvements financiers. La fonction de Trésorier, souvent perçue comme technique, est devenue une composante essentielle dans la définition de la stratégie de nombreux établissements.
Les tensions internationales s'invitent dans l’équation
L’époque où la gestion de la trésorerie pouvait se concentrer sur les soldes bancaires, les taux à court terme ou les échéances fournisseurs est révolue. Désormais, un conflit régional ou une sanction décidée par un Etat ou une administration peut avoir des effets immédiats sur les paiements transfrontaliers, les chaînes d’approvisionnement, les taux de change, ou l’accès à certaines devises. A noter parmi les sujets récurrents, la dédollarisation, relancée par les frictions commerciales ou les sanctions américaines. Cependant, malgré les intentions affichées et la récente baisse du billet vert, ce dernier reste dominant. En effet, sa liquidité, son rôle dans les échanges mondiaux et l’absence d’alternative crédible en font encore une monnaie centrale pour sécuriser les transactions internationales.
Ce nouveau paradigme affecte directement le département Trésorerie des entreprises, mais aussi celui des banques, qui doivent en outre satisfaire aux obligations spécifiques de leur environnement prudentiel. Le monde s’est fractionné et, avec lui, les flux financiers.
Dans les entreprises, le département Trésorerie doit à présent fonctionner dans une logique d’anticipation, de veille et de flexibilité.
Au-delà des mouvements internes de capitaux, c’est toute l’exposition aux risques exogènes qui doit être analysée: risque pays, évolutions du cadre légal, changements des régimes de change, ou incertitudes politiques et commerciales. Pour s’adapter, les leviers sont multiples: diversifier les partenaires bancaires et les zones d’encaissement; mettre en place des scénarios de stress réalistes, intégrant divers chocs externes; renforcer la coordination avec les fonctions Juridique, Risques et Conformité; et surtout, disposer d’une visibilité consolidée et réactive sur les flux au travers de systèmes d’information performants.
Du côté des banques, la gestion de la trésorerie repose sur une architecture plus complexe encore. Outre le département Trésorerie, elle mobilise aussi le comité de gestion actif/passif (ALM), en charge d’équilibrer la structure financière de la banque sur différents horizons de temps. Ces instances doivent composer avec une multitude d’obligations en matière de liquidités (ratios LCR et NSFR), de capitaux propres (ratio CET1), d’encadrement de l’exposition de la trésorerie aux marchés financiers, et de règles de résolution bancaire (i. e. des mécanismes visant à gérer les potentielles défaillances de banques en réduisant le plus possible leurs conséquences sur les acteurs économiques). La moindre décision réglementaire ou évolution de l’environnement international peut remettre en cause la disponibilité des financements (notamment accès au crédit, faculté de lever des fonds, et liquidité disponible), l’accès aux devises, ou la solvabilité perçue de certaines contreparties.
Dans ce contexte, la Suisse voit sa place financière confrontée à une complexité croissante. Banques et entreprises doivent répondre à des exigences accrues en matière de conformité, de transparence et de surveillance des transactions, notamment en raison de normes extraterritoriales comme les sanctions internationales. Par conséquent, la Suisse devrait adopter une stratégie active et adaptée en matière de gestion de trésorerie, afin de conserver sa force historique comme centre financier multidevises; et accorder une place centrale à l’accès aux devises, à l’analyse des contreparties, et aux opérations dans des zones à risque, qui rendent l’exercice plus délicat.
Un pilotage stratégique et transversal
Face à cette sophistication grandissante, les départements Trésorerie ne peuvent plus fonctionner en silos. Ils deviennent des acteurs transversaux, connectés à l’ensemble des fonctions sensibles de l’organisation: direction financière, juridique, conformité, risques, voire relations institutionnelles. Ils doivent intégrer l’évolution des normes réglementaires, parfois imposées par des juridictions tierces; les effets de la fragmentation monétaire (situation où les conditions financières – comme les taux d’intérêt ou l’accès au crédit – deviennent très différentes d’un pays à l’autre dans une même zone monétaire) et des régimes de sanctions extraterritoriales; ainsi que les implications stratégiques des dissensions commerciales. Cette transformation s’accompagne également d’un besoin accru en talents hybrides – financiers, technologiques et stratégiques – capables de comprendre aussi bien les mécanismes de couverture de taux et de change, et avant tout la gestion de la liquidité, que les réglementations multijuridictionnelles.
Dans un contexte de volatilité, d’instabilité politique et de tensions commerciales, le département Trésorerie apparaît comme un pôle d’expertise capable de proposer des solutions adaptées aux besoins de l’institution et de ses différents services. En effet, son rôle va bien au-delà de l’organisation des flux: il contribue de manière significative à la gestion de la liquidité, à l’optimisation du bilan et à la maîtrise des risques financiers. Il joue aussi un rôle essentiel dans l’allocation efficiente des ressources, le soutien aux différentes lignes métiers et la conformité des opérations.
Les organisations qui intègrent pleinement cette dimension stratégique seront mieux préparées pour affronter les crises à venir. La Trésorerie devient ainsi un centre opérationnel névralgique, au cœur des enjeux de performance, de résilience et de pilotage global de l'établissement.